Pour Paul Meyer

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- Paris, Amphithéâtre de la Cité de la Musique, le 23 janvier 2011
- Webern, Trio à cordes, op. 20 (a) - Brahms, Trio avec clarinette en la mineur, op. 114 (b) - Berg, Quatre Pièces pour clarinette et piano, op. 5 (c) - Brahms, Quintette avec piano en fa mineur, op. 34 (d)
- Paul Meyer, clarinette (b, c)
- Michaël Barenboim, violon (a, d)
- Guy Braunstein, violon (d)
- Gérard Caussé, alto (a, d) 
- Gary Hoffman, violoncelle (a, b, d)
- Elena Bashkirova, piano (b, c, d)
    
    J'ai malheureusement manqué le concert donné la veille de celui-ci, qui proposait notamment la réduction de l'adagio du Kammerkonzert de Berg et l'opus 115 de Brahms : c'est suite aux commentaires élogieux qui m'ont été fait de l'exécution de ces derniers que j'ai à l'improviste saisi une des dernières places disponibles au petit amphithéâtre de la Cité. Et c'est effectivement un superbe Paul Meyer qui s'y produisait. Je ne suis pourtant pas a priori un amoureux de ce genre de clarinette à la beauté un peu bourgeoise, au médium toujours chaud et confortable, aux forte toujours pleins et nobles, qui confère à l'instrument une portée à mon sens plus univoque qu'il ne le faudrait. Mais pour autant, devant autant de maîtrise conjugués à un tel sens de l'écoute, il faut s'incliner bien bas devant un musicien qui a illuminé ce dimanche après-midi de sa classe. 
     Dans le trio de Brahms, d'abord, où dès le premier exposé Meyer frappe par sa faculté à se fondre totalement dans le son de ses partenaires tout en produisant une ligne comme venant de l'intérieur : bien plus qu'à  une simple qualité d'écoute, on goûte ici à un certain génie de l'intégration, qui semble chercher au maximum à apparenter la clarinette et le violoncelle à un instrument unique dialoguant avec le piano. Cela n'est évidemment pas le cas en permanence, mais c'est un des aspects les plus fascinants de l'exécution, qui bénéficie du reste du piano solide, très intelligible (malgré un instrument médiocre) d'Elena Bashkirova, à qui on peut certes reprocher un manque de raffinement technique (par exemple de densité harmonique dans l'adagio). L'adagio en général constitue d'ailleurs ma principale réserve, dans la mesure où je suis assez vite agacé par la propension qu'a Gary Hoffman à compliquer la ligne : non que je trouve ses phrasés de mauvais goût, mais c'est plutôt une volonté de parsemer les phrases de micro inflexions expressives que je supporte mal chez lui, du moins quand le tempo se ralentit. C'est d'autant plus dommage que sa sonorité est plus qu'appréciable - mais avec quel violoncelle... 
    Le très grand moment de ce concert est clairement le Berg, et pas uniquement parce que les occasions d'entendre ce sublime opus 5 sont si rares. Meyer s'y est peut-être montré, pour son ultime prestation du week-end, encore plus investi que dans Brahms, et pour tout dire absolument magnifique, au point d'élever Bashkirova à des merveilles de délicatesse et de richesse pianistiques que son Brahms n'avait pas entièrement laissé supposer - on en conclura un peu plus tard que cette pianiste, par ailleurs fondatrice du Festival de Jerusalem qui s'exportait ici, semble en musique de chambre très tributaire du niveau de ses partenaires. Le sommet de l'après-midi se situe en fait très exactement au Sehr langsam, à couper le souffle de beauté et de perfection instrumentale - le seul descrescendo conclusif de Meyer, d'une continuité invraisemblable, valait le déplacement... au même titre que celui du trio de la troisième pièce. De façon générale, l'intensité du jeu de Meyer semble aussi gagner en personnalité sonore, ce qui peut très bien être mis sur le compte du passage à la clarinette en si bémol, il est vrai : que ce soit ou non le cas, on aura en tout cas pu l'entendre crever le voile-cliché occidental de la belle et langoureuse clarinette, en poussant jusqu'au bout le ff des appoggiatures du Langsam final, obtenant une sonorité de clarinette quasi-slave.

    Tout ceci ne laisser pas vraiment présager de la catastrophe qui a clôturé le concert, d'autant que, réserves habituelles sur Hoffman mise à part, Michaël Barenboim et Gérard Caussé (que je n'attendais plus à ce bon niveau) avaient fait une impression assez favorables dans un Trio à cordes de Webern assez sage mais propre. J'ai mis du temps à le croire et à me faire à cette idée, mais c'est bien l'arrivée de Guy Braunstein, prestigieux  konzertmeister du Philharmonique de Berlin venant ici assurer la partie de premier violon, qui a fait s'effondrer le bel édifice chambriste en train de s'élever. Quel pensum violonistique ! Par une curieuse coïncidence, je crois bien ne pas avoir entendu quelque chose d'aussi épouvantable au violon depuis un concert de Gordan Nikolic, le... Principal du LSO. Comment ces violonistes capables d'être aussi nerveux, hachés, brutaux, et très souvent en-deçà des standards minimaux de justesse, peuvent-ils entraîner deux des meilleures sections de cordes au monde ? C'est un grand mystère, qui s'épaissit que on constate que, de surcroît, Braunstein ne semble pas du tout prendre au sérieux le fait de jouer un quintette de Brahms - il parait que celui avec clarinette l'inspirait beaucoup plus, mais je n'étais pas là pour le vérifier. Quoiqu'il en soit, et malgré les efforts manifestement considérables de ses partenaires pour continuer au moins de jouer juste, toute l'exécution est parfaitement inaudible, de la première à la dernière note, et je pèse mes mots. Si Barenboim, Caussé et Hoffman tâchent de faire les notes en dépit de celles, douteuses, les parasitant, il y a une chose qu'ils ne peuvent faire, c'est empêcher Braustein de n'en faire qu'à sa tête rythmiquement. Ce qui fait que l'on n'entendra à peu près aucune attaque respirant ensemble en quarante minutes - ou moins, car c'est en plus à un train d'enfer totalement absurde que l'affaire est menée. 
    Respirer dans ces conditions étaient de toute façon impossible, alors ensemble, pensez donc : à la tête de cette cacophonie d'une confondante vulgarité, Bashkirova jette très vite l'éponge et se contente d'accompagner le mouvement plus ou moins approximativement, ce qui à vrai dire se comprend surtout quand les mouvements partent dans des directions contraires - comme dans le finale où Braustein indiquait manifestement que ce déchiffrage était fort amusant mais qu'il devait prendre l'avion de 19h. 
    J'espère qu'il a pu s'envoler, parce que moi, je suis tombé de très haut.

p.s. : oui, je sais, la photo d'en-tête est affreuse, on dirait Jean-Claude Vandamme de passage dans un épisode de Dallas, mais c'est la seule en noir et blanc que j'ai trouvée de Paul Meyer. Clarinette, ton univers impitoyable. 
Théo Bélaud
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